Y’a comme un pépin

A l’occasion de la Saint-Valentin, je vous offre cette histoire d’amour…. un peu vache !

J’ai écrit cette nouvelle, et trois autres, pour l’ouvrage collectif « Les contes et légendes de Paris » chez Ella Editions – en 2014. Mon éditeur m’autorise aujourd’hui à publier ce texte.

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Y’a Comme un pépin… Du rififi à Ménilmontant

Elle me matait droit dans les yeux et je voyais scintiller des petites étoiles dans ses mirettes enjôleuses. Je sirotais mon café, je buvais son regard : y’a pas de pétard, elle a d’la classe ma gonzesse. Affichant un visage mutin, elle commença à tartiner la tranche de pain grillé d’une épaisse couche de confiote. Je la regardais faire, silencieux, subjugué par ses mouvements charmeurs, par la blancheur de ses jolis bras à la rondeur affriolante. Elle me tendit le pain, je mordis dedans à pleines dents et vidai d’un trait mon bol de café, les sens soudain en éveil. Ses yeux brillaient plus que de coutume, quelle diablesse !

J’ai repoussé le bol, me suis levé à la hâte. Mes guiboles ont flageolé et là, ma cafetière n’a fait qu’un tour, j’ai rapidement pigé :

— Y’a comme un pépin, mon Dédé !

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ILLUSTRATION DE Delphine MARCHAL

Il faut que je me présente : moi, c’est Dédé, connu ici à Ménilmontant sous le nom de Dédé la Breloque, rapport à toutes les bagouzes que je porte aux doigts mais aussi à mes bijoux de famille qui, selon ma régulière, sont de vrais joyaux. Et ma régulière, elle est bath ! C’est Ginette, une nénette carrossée comme une Simca. Quand on se promène bras-dessus bras-dessous sur les boulevards, entre Belleville et Ménilmuche, y’a plus d’un blaireau qui se retourne sur notre passage, parce que des bourgeoises roulées comme elle, ça court pas les rues de Paris, et que le Dédé il le porte beau lui aussi dans son costume trois pièces.

Mais moi, faut pas me la conter. Dans tout le quartier de Ménilmontant, Dédé la Breloque il est respecté. Y’en a pas un qu’oserait toucher ne serait-ce qu’un cheveu de la Ginette, sinon je lui bomberais la durite en deux temps trois mouvements et il se retrouverait six pieds sous terre au Père Lachaise. Je les entends débiner dans mon dos que ma sentimentalité me perdra, moi le gros dur. Qu’ils aillent se rhabiller, la Ginette je la connais, elle en pince bien trop pour mézigue.

Je règne en maître sur mon quartier depuis pas mal d’années. Je me suis fait ma clientèle petit à petit et maintenant ça roule du tonnerre. Momo, Thérèse, Ninon et autres filles à ma botte font rentrer l’oseille régulièrement, ça c’est du bon boulot. Pas un blaire pour me berlurer, j’ai l’œil. Un seul a essayé une fois de me piquer une gonzesse. Le Dédé il est réglo, on ne lui fait pas des petits dans le dos. J’ai fait une descente chez lui, et je lui ai balancé, bien en face, les yeux dans les yeux :

— Marcel, y’a comme un pépin.

Il a pas eu le temps de gamberger, le gonze. Il s’est chopé une torgnole qui lui a passé l’envie de recommencer et même de se plaindre à la maison Royco. Y savent les gars, Dédé il dessoude pas car c’est un tendre, dans le fond. Une petite tête au carré de temps en temps, ça remet les idées en place, y’a pas de quoi fouetter un chat. Après on va se boire que’ques petits rouquins chez Jojo, au troquet du coin, on se pète la ruche entre hommes, topète et c’est reparti. Y’a plus de rififi.

***

Y’avait vraiment un pépin ! Trente ans que je croupis sous terre. La Ginette elle m’a bien roulé dans la farine avec ses battements de ramasse-miettes à faire fondre le cœur du moine le plus intégriste. Plus de Dédé la Breloque, disparu des affaires du jour au lendemain et personne pour le pleurnicher, à part Ginette, cette grue. Ah ! ça, elle simulait bien au cimetière. Elle se mouchait bruyamment dans son tire-jus, les yeux rouges et gonflés – la garce ! – pendant que Jojo la serrait dans ses bras. Ah ! les salauds !

En trente ans, elle est devenue bouffie Ginette. Elle s’est sacrément embourgeoisée avec le gars Jojo. Dans la courette derrière le troquet, elle a semé mes cendres sous la petite table de jardin, à l’ombre d’un gros pommier. Et à chaque fois qu’elle invite ses copines à boire le thé à la même petite table, elle sort son mouchoir, se cache les yeux pour tenter de se tirer des larmes et tape du pied en minaudant grassement :

— Ah ! Mon Dédé, y’avait pas un gars comme lui ! Ah ! Ça, je les ai regrettées ses breloques, pas un jour sans que je ne pense à lui.

Et elle pleure de plus belle, et les greluches compatissent. Mais elle ne va pas s’arrêter c’te punaise, personne n’osera lui fermer son clapet ?

Elle venait de porter en bouche un morceau de sucre imbibé de gnole, un canard comme elle disait. Une pomme est tombée de l’arbre au même moment, s’est fracassée en deux sur son crâne. Sous l’effet de la surprise, Ginette en a avalé de travers son sucre. Je la vois qui s’étouffe, elle râle et je me marre. Ses copines sont tellement estomaquées que pas une ne bouge. Elle s’étrangle, son visage devient blanc, ses yeux se révulsent, elle s’affale dans sa chaise et tombe lourdement à terre.

Bonjour ma Ginette, bienvenue au pays. Tu avais vu juste, y’avait comme un pépin !

NOTE

Cette histoire n’est pas libre de droits et non reproductible sur d’autres sites ou divers ouvrages sans le consentement de l’éditeur.

CONTES ET LEGENDES DE PARIS

Ella Editions

Ouvrage collectif – 2014

Auteurs : Delphine Marchal – Juliette Chaux-Mazé – Marcel Grelet – Marie-France Thiery-Bertaud – Olivier Mazé – Paul Herbreteau – Pierrette Gobin-Vaillant – Christophe Prat

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4 Responses

  1. Elisabeth Pavageau dit :

    j’l’aime bien ton Dédé… Elle a fini par payer sa Ginette !!!

    • mariefrance.thiery dit :

      Ben oui, hein ! Ma chère Elisabeth ! Heureusement qu’il y a une justice dans ce bas monde 😉 Non, mais ! Qu’Est-ce qu’elle croyait la Ginette !

  2. isazaza dit :

    j’adore !!!!

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