Les chroniques de la Bernuzière, la crèche vivante
Cette histoire savoureuse est extraite des « chroniques de la Bernuzière« , les aventures cocasses et quotidiennes d’un village vendéen racontées avec truculence par Claude Mercier. C’est un vrai régal à lire, on découvre et observe la vie quotidienne de nos parents dans ce petit village imaginaire…
**** La crèche vivante ****
Cette année 1933, le curé Pineau s’était mis en tête, pour Noël, de monter une crèche vivante dans l’église, au moins pour la messe de minuit. Sylvestre, dit « Fi d’vesse », le secrétaire de mairie avait été chargé de jouer Saint-Joseph, la fille de Tiophile avait accepté d’être Marie, d’autant plus qu’elle avait un petit bébé de six mois qui ferait un parfait petit Jésus. Quant aux bergers, toute la fine équipe était là, Alfred le coiffeur, Tiophile le réparateur de vélos, Julien le poissonnier, Alexis le cordonnier et Alcide l’agriculteur.
Pour le boeuf et l’âne, tous avaient convenu qu’il fallait présenter de vrais animaux à côté de vrais personages. Alcide devait donc amener le boeuf et le Comte de la Brenuche prêtait un de ses ânes. Tout le monde avait répété sa position, les femmes avaient préparé la grotte en papier-rocher et les religieuses cousu les costumes adéquats.
Ce soir du 24 décembre, il gelait à pierre fendre, la neige commençait à tomber et le verglas à se former. Tous les acteurs étaient arrivés à peu près d’aplomb mais le boeuf d’Alcide avait déjà ripé deux fois sur la glace.
Tout le monde avait pris la pose quand les assistants entrèrent dans l’église, s’ébrouant, secouant la neige de leurs manteaux et fermant leurs parapluies. Le père Pineau, triomphant, attaqua la messe : « Introïbo ad altare Déi. » Un bredouillis un peu gelé lui répondit : « Ad Déum qui laetificat… »
C’est à partir de ce moment-là que le petit Jésus commença à brailler. La fille de Tiophile, la vierge Marie, lui mit une autre couverture en fourrure et le berça doucement. Rien n’y fit. « Dominum vobiscum » – « Ouin ! Ouin ! » répondit le petit Jésus. Soudain le boeuf, excité par ses deux chutes, poussa un « Meuh…! » si retentissant que toutes les statues de l’église en branlèrent sur leur socle. Et il se mit à bouser bruyamment.
« Doune-me de la paille ! » demanda Alfred à Saint-Joseph. Celui-ci tira de la mangeoire une brassée de paille que justement l’âne était en train de dévorer. Frustré de son repas, le bourriquet se mit à jouer de la tête et à donner de la patte en hurlant : « Hi han ! Hi han ! » à toutes forces. Le papot qui braillait, le boeuf qui meuglait, l’âne qui hihannait, le tintammare était à son comble quand le curé Pineau arriva à la fin de l’évangile et lut : « Et PAIX sur terre aux hommes de bonne volonté ! ». Il se retourna avec un peu d’agacement vers la crèche et ajouta : « et la PAIX pour le petit Jésus ! ».
Anatole, le sacristain, qui veillait au bon déroulement, crut bon d’ajouter en fronçant les sourcils et en haussant encore sa voix : « Et pis la PAIX, les baïtes aussi, nom de d’là ! ».
Les cris et les hurlements furent stoppés net, le silence se fit brusquement et la sérénité repris le dessus. Les yeux au ciel, Alexis conclut :
« Ol’ a été le premier miracle de Noël à la Bernuzière ! ».
Claude Mercier
« Toutes les chroniques de la Bernuzière »
aux Editions l’Etrave
Une bien mignonne historiette. Dans le Var nous faisions chaque année la pastorale, le metteur en scène s'arrachait les cheveux à chaque répétition, et pourtant le 24 à 23 heures tout se déroulait le mieux du monde. Il disait toujours décidément Noël est un miracle !
Bonne journée grosses bises, prend soin de toi…
Excellent… cela me rappelle des souvenirs, non pas une crèche vivante, mais la crèche géante de Saint Sulpice le Verdon, la petite fontaine que Sœur Madeleine (enseignante à l'école privée) avait créée à l'intérieur et qui chantonnait pendant la messe de minuit, l'ange qui fait oui de la tête quand on glisse une pièce par la fente du plateau qu'il tient en mains, l'odeur de
Ce livre a l'air d'être un régal d'humour ! J'ai un tout petit peu connu la crèche vivante, mais il n'y avait ni animaux, ni bébé ! On imagine bien le "foin" (!) qu'ils feraient. Quelques expression et mots de patois comme "le papot", sont très agréables à lire. Merci Marie-France !
Très divertissante ta petite histoire ! merci tu nous déniches toujours de merveilles 😉
Imagines toi que le 24 au soir, j'ai droit à une crèche vivante, une procession de berger et une messe en provençal … Un magnifique spectacle
Quel humour et quel réalisme dans l'écriture de ce récit de la messe de minuit dans un petit village de Vendée, peut-être virtuel…mais pourtant on s'y croirait !
Bonne semaine 🙂
Quelle jolie histoire, on s'imagine près de cette crèche et j'aimerais assister à une telle messe