Le jardinier et son seigneur
La semaine de la langue française et de la francophonie me donne l’envie de partager avec vous quelques beaux textes qui ont marqué la littérature.
Cette fable de Jean de la Fontaine, trésor des lettres du XVIIème siècle, n’est pas la plus connue, mais la satire sociale et politique n’a pas vieilli et pourrait bien se méditer encore de nos jours.
LE JARDINIER ET SON SEIGNEUR
Un amateur de jardinage,
Demi-bourgeois, demi-manant,
Possédait en certain village
Un jardin assez propre, et le clos attenant.
Il avait de plant vif fermé cette étendue ;
Là croissait à plaisir l’oseille et la laitue,
De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet ;
Peu de jasmin d’Espagne, et force serpolet.
Cette félicité par un lièvre troublée
Fit qu’au seigneur du bourg, notre homme se plaignit.
« Ce maudit animal vient prendre sa goulée
Soir et matin, dit-il, et des pièges se rit ;
Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit ;
Il est sorcier, je crois. — Sorcier ? Je l’en défie,
Repartit le seigneur. Fût-il diable, Miraut,
En dépit de ses tours, l’attrapera bientôt.
Je vous en déferai, bon homme, sur ma vie.
— Et quand ? — Et dès demain, sans tarder plus longtemps. »
La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.
— « Çà, déjeunons, dit-il ; vos poulets sont-ils tendres ?
La fille du logis, qu’on vous voie, approchez.
Quand la marierons-nous ? Quand aurons-nous des gendres ?
Bon homme, c’est ce coup qu’il faut, vous m’entendez,
Qu’il faut fouiller à l’escarcelle. »
Disant ces mots, il fait connaissance avec elle,
Auprès de lui la fait asseoir,
Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir ;
Toutes sottises dont la belle
Se défend avec grand respect ;
Tant qu’au père à la fin cela devient suspect ;
Cependant, on fricasse, on se rue en cuisine.
« De quand sont vos jambons ? Ils sont fort bonne mine.
— Monsieur, ils sont à vous. — Vraiment, dit le seigneur,
Je les reçois et de bon cœur. »
Il déjeune très bien ; aussi fait sa famille,
Chiens, chevaux et valets, tous gens bien endentés ;
Il commande chez l’hôte, y prend des libertés,
Boit son vin, caresse sa fille.
L’embarras des chasseurs succède au déjeuné.
Chacun s’anime et se prépare :
Les trompes et les cors font un tel tintamarre
Que le bon homme est étonné.
Le pis fut que l’on mit en piteux équipage
Le pauvre potager : adieu planches, carreaux
Adieu chicorée et porreaux,
Adieu de quoi mettre au potage.
Le lièvre était gîté dessous un maître chou.
On le quête, on le lance, il s’enfuit par un trou,
Nous pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l’on fit à la pauvre haie
Par ordre du seigneur : car il eût été mal
Qu’on n’eût pu du jardin sortir tout à cheval.
Le bon homme disait : « Ce sont là jeux de prince. »
Mais on le laissait dire ; et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps
Que n’en auraient fait en cent ans
Tous les lièvres de la province.
Petits princes, videz vos débats entre vous :
De recourir aux rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.
Recueil de 1668
Livre IV, Fable 4.
Jean de la Fontaine
Très belle fable ma foi, prenons-en de la graine,
et gardons-nous de vanter nos bas de laine.
Très juste Armande. Bonne journée à toi.