Loucherbem, c’est chelou
Lilteplaisingue lentigesse loucherbem,
lailletingue loimesse une lavettebem… (1)
Ames sensibles s’abstenir de lire les lignes qui suivent !
L’endroit est glauque et pourrait afficher :
La mort est notre métier, ici on est tueur de père en fils.
Le rite est immuable : on y dépèce, éventre, étripe avec un sourire carnassier sur les lèvres et en toute impunité. Ici, la barbaque passe et trépasse : le sang gicle, s’immisce, éclabousse tout sur son passage. Une odeur fétide à déglinguer les mouches s’incruste.
C’est le tango des bouchers de la Villette
C’est le tango des tueurs des abattoirs
Venez cueillir la fraise et l’amourette
Et boire du sang avant qu’il soit tout noir…
L’homme porte beau, en plein labeur il a le regard inquétant. Il est viril, costaud, affiche des mains de colosse. Il peut être sanguin, ramasseur de glandes, éplucheur de peaux, dégraisseur et il le revendique avec fierté. (Marcel Proust aurait, dit-on, été fasciné par les mains de ces hommes forts et virils qu’il venait draguer).
C’est l’abattoir de la Villette, la cité où le sang règne en maître, la maison-mère des chevillards, la corporation des bouchers.
Faut qu’ ça saigne
Faut qu’ les gens ayent à bouffer
Faut qu’ les gros puissent se goinfrer
Faut qu’ les petits puissent engraisser
Faut qu’ ça saigne…
Le geste est précis, la parole est rare sur le lieu du crime. Mais hors ces murs, dans la rue ou au zinc du troquet voisin, le langage se fait plus riche et s’affiche librement dans un discours qui peut paraître obscur aux non-initiés.
Latrompuche, ilefesse-moi un p’tit lamblingue (2)
C’est le loucherbem, (appelé aussi louchébem) comprenez l’argot des bouchers parisiens et lyonnais en ce début du XXème siècle. Un langage qui a ses codes bien précis :
On substitue la première consonne du mot par un L, on place ladite consonne à la fin du mot et on y ajoute un suffixe (esse, ingue, é, emme, uche…). Essayez, vous verrez que c’est beaucoup plus simple qu’il n’y paraît, le loucherbem ou louchébem, si on voulait faire un raccourci, c’est un peu le javanais ou le verlan, un langage de la rue.
Le Loucherbem reste finalement assez méconnu, et est demeuré de nos jours comme une curiosité linguistique. Je ne suis d’ailleurs pas certaine que les jeunes bouchers le connaissent…
Hors l’anecdote humoristique de cet argot corporatiste il est intéressant de découvrir l’histoire de l’abattoir parisien de la Villette. Le site de référence en la matière étant la passionnante thèse de Pierre Haddad, qui parle en connaissance de cause puisqu’il est lui-même ancien chevillard en plus d’avoir cumulé longtemps de nombreuses fonctions au sein du Syndicat de cette profession.
Un pan méconnu de cette histoire a retenu mon attention. Le mythe des garçons-bouchers (supposés tueurs) a fasciné en son temps (fin XIXème) l’extrême-droite, sous la houlette d’un mystérieux aristocrate antisémite, le marquis de Morès. Lors de l’affaire Dreyfus, un petit groupuscule de bouchers de la Villette a pu constituer une partie des troupes nationalistes et antisémites (source : Eric Fournier, la cité du sang, les bouchers de la Villette contre Dreyfus).
Dans ce document, on y découvre entre autres comment ces hommes manquèrent de peu de faire vaciller la république, en août 1899, en chargeant la police sous les cris de « mort aux vaches ».
(1) S’il te plait, gentil boucher, taille-moi une bavette
(2) patron, file-moi un p’tit blanc
L’INFO LIVRE
Si la découverte de ce langage atypique vous intéresse, je vous recommande cet ouvrage.
Larlépem-vous louchébem ? L’argot des bouchers de David Alliot chez HOBAY.
LA VIDEO DE CIRCONSTANCE
Boris Vian avec les Joyeux bouchers… faut que ça saigne !
Merci pour l'histoire de ces bouchers.
Je connaissais celle de Vian.
Bonne semaine avec bises
Bonjour,
… Dans ce document, on y découvre entre autres comment ces hommes manquèrent de peu de faire vaciller la république, en août 1999, en chargeant la police sous les cris de "mort aux vaches".
N'était-ce pas un siècle plus tôt, en août 1899?
Ah ! Jean-Michel, heureusement que vus avez l'oeil. Je rectifie de suite.