Les bœufs de Nau, conte de Noël du Poitou
Dans notre Vendée, comme dans tout le Poitou, il y a quelques centaines d’années, tout le monde savait et se répétait à voix basse que les bœufs parlaient la nuit de Noël et qu’à minuit, dans les étables, des conversations s’engageaient entre les bêtes à corne, justement les descendants de ceux qui réchauffèrent le petit Jésus dans la crèche de Bethléem, il y a deux mille ans.
Mais ce que ces bêtes se disent pendant cette nuit sacrée, c’est un mystère, personne ne doit le savoir et personne ne le sait. Il est même interdit à tout mortel de surprendre ces conversations annuelles. Malheur au curieux qui voudrait percer l’énigme.
Or, dans les années 1940, ce vieux mécréant de Firmin Crocheau qui était resté au chaud dans sa maison avec son épouse, au lieu d’aller à la messe de minuit, se mit en tête d’aller écouter ce que ses bœufs pouvaient bien se raconter entre eux. Il entra subrepticement dans l’étable, avança lentement à quatre pattes jusqu’à la mangeoire en essayant de ne pas faire frelasser la paille et il resta là caché dans le noir sans bouger.
Les deux grands bœufs étaient debout silencieux, Brunaud le brun et Farinous le blanc. Le temps était sec, le froid était vif et un rayon de lune passait à travers les tuiles mal jointes du toît. Firmin avait entendu sur la route résonner les sabots de bois des gens du village qui descendaient à l’église pour la messe. Minuit n’était pas loin.
Dans le silence de cette nuit étoilée, les douze coups de minuit sonnés au clocher se détachèrent, clairs. Firmin se fit attentif et tendit l’oreille. Les deux bœufs s’étaient arrêtés de ruminer. Ils remuèrent la tête et Brunaud, de sa voix de crécelle, articula :
– Eh bé, Farinous, que ferons-nous demain ?
– Demain nous porterons notre maîtresse en terre.
– Et après-demain, que ferons-nous ? Questionna Brunaud.
– Après-demain, nous porterons notre maître en terre.
Firmin resta abattu, comme vieilli de dix ans d’un coup et il sortit en courant de l’étable. Sur le pas de la maison, il trouva sa femme allongée. Inquiète de ne pas voir revenir son mari, elle était sortie dehors avec une lanterne et avait attrapé un mauvais coup de froid. Firmin la coucha sur le lit, mais au petit matin, elle passe. Le soir, les bœufs la conduisirent au cimetière.
Firmin en fut tellement chaviré qu’il en perdit l’esprit. Il hurla dans tout le bourg : « les bœufs me l’avaient bien dit! ». Et en rentrant chez lui, il se jeta dans la mare gelée du Pré bas.
Le lendemain, Brunaud et Farinous le conduisirent en terre !
Arts et traditions du Pays Vendéen
Extrait de « La fin de la Rabinaïe, décembre 2004