La soupe aux choux verts
Par un timide soleil de février, sur le banc de pierre devant la maison de ferme des Gauthier, deux mémés chauffaient leurs vieux os. La grand-mère Gauthier, Augustine, tricotait. Sa voisine Léontine, la veuve du tisserand, les mains croisées sur ses genoux la regardait avec envie jouer des doigts.
– « Comme tu as de la chance de pouvoir tricoter comme ça, Gustine, v’là que je peux plus rin faire. Le docteur m’a dit que la raideur de mes « doués », c’est de la ‘retrosse' ».
– « Reposes-te dont, Léontine, t’as ben assez travaillé de même. A quatre-vingt-cinq ans, laisse-te vivre, que diable ! ».
Leur entretien fut interrompu par la voix de Sylvaine, la bru de la mère Gauthier, qui leur demanda :
– « Si vous pouviez, grand-mère, avancer en vous promenant jusqu’à la pièce des « trois Coins », derrière la bergerie, me cueillir une cuisine de choux pour ce soir. Je n’ai pas le temps d’y aller, il faut que je vaccine mes lapins contre la myxomatose. ».
– « Dérange-te pas Sylvaine, j’y vas. Vas t’en piquer tes bêtes. Tu viens avec moi, Léontine ? Si tu en veux pour toi, y faut en profiter pendant qu’ils sont bons.
L’autre ne se fit pas prier.
– « Eh ben, j’dis pas non. Y-a-t’y longtemps que j’ai mangé de la soupe de choux pour la dernière fois. Le temps de prendre un canif et je te suis. »
Et les deux commères, à petits pas prirent en se promenant la direction de la pièce aux choux.
Tout en marchand, mine de rien, la tisserande reluquait le travail de la tricoteuse.
– « Tu vas p’tête me dire que ça me regarde point, mais je trouve ben drôle que t’as choisi d’la laine verte pour te tricoter des chaussettes ! J’te vois pas avec ça aux pieds ! »
– « Mais que tu es sotte ! Ce n’est pas pour moi ces chaussettes, mais pour mon petit-fils, Lionel, qui est aux grandes écoles pour être ingénieur agronome ».
– « Eh ben, dis-donc, ingénieur à Grenoble, t’ié pas la porte à côté ; t’ié vers les montagnes, ça m’étonne pas s’il a froid ».
…
Petit à petit, nos deux cueilleuses de choux étaient arrivées à la pièce des trois coins. Relevant leur tablier en dorne, avec les deux coins attachés avec des épingles, elles choisirent chacun un sillon. Armées d’un canif, elles allaient ainsi à chaque chou, prélevant délicatement le cœur : une rosette de petites feuilles tendres avec à la base un petit talon de moelle blanche.
…
Satisfaites de leur cueillette, la devantière gonflée de choux, nos deux mémés s’en revinrent tout doux en échangeant leurs recettes, et commentant les bienfaits de la soupe aux choux.
« Contre la constipation, il n’y a rien de meilleur ! Et l’on n’aura plus besoin de les laver. Avec la pluie de ces derniers jours, ils n’ont plus de puc’rons ! »
En rentrant à la maison, mémé Gauthier, d’un coup d’œil à la pendule, résolut de préparer sa soupe. Après avoir attisé les braises sous la marmite pendue à la crémaillère, elle déversa directement une partie de sa cueillette dans l’eau qui frémissait. Puis, armée de son grand couteau de cuisine, elle trancha en fines lamelles une miche de six livres de la croûte enfarinée. La marmite ne tarda pas à faire clapoter son couvercle en lâchant de temps à autres des pipées de vapeur odorante.
A Sylvaine qui revenait des lapins, elle conseilla :
« Tu peux tremper la soupe quand tu seras libre ; les choux sont cuits et la marmite est trop lourde pour mon dos ».
Celle-ci, après avoir décroché la noiraude de la crémaillère d’un vigoureux coup de reins, enleva le couvercle, ce qui libéra un nuage de vapeur dans la pièce et jusque dans la rue où les passants purent se régaler… avec le nez. Ensuite, plongeant sa louche dans l’ensemble bouillant, elle répandit le liquide sur les tranches de pain. Après sa première louchée, elle s’arrêta, interdite, hésitant à continuer, fixant la soupière, inquiète.
-« Dites-donc, mémé, où avez-vous pris ces choux ? »
– Mais, quelle question ! Dans le champ des trois coins, tiens, il ne s’en trouve nulle-part ailleurs. Et pourquoi me demandes-tu ça ? »
– « Pasque ils sont verts… mais d’un vert !… c’est peut-être l’espèce ? Je n’en ai jamais vu des comme ça ! »
– « Sûr qu’ils doivent être verts, parce qu’ils commencent à pousser après ces gelées. Ils sont tendres. »
Et Sylvaine, remise en confiance, essaya une dernière louchée… encore plus verte que la précédente. Alors elle s’emporta :
-« Mais, ce n’est pas possible ! On dirait de la teinture ! Je n’ai jamais vu de la soupe aussi verte ! »
Mémé Augustine, agacée par les remarques de sa bru, finit par s’en inquiéter. S’étant approchée de la soupière fumante, elle constata en effet que la soupe était d’un vert… anormal ! Afin d’éclaircir cette énigme, il n’y avait qu’un moyen : retirer les choux de la marmite. Mémé Augustine, d’une louche nerveuse, traversa le nuage de vapeur… et l’on vit apparaître soudain, aux yeux des femmes stupéfaites, une masse de choux, auréolée d’une chaussette verte, à vous faire grincer des dents !
Mille mercis Ma Marie pour ce magnifique conte….Ma journée avait très mal commencée, trop de mauvaises nuits cause douleur, mais là…c'est un rayon de soleil qui rentre dans mon cœur….Lyli a beaucoup aimé aussi: "trop bien, sympa ce conte…." Alors tes 2 fans t'embrasse affectueusement et te disent vraiment MERCI pour ces petits moments de bonheur…..